Une bouffée d’espérance
Après un bref séjour dans une famille chrétienne, celle de leur compagne interprète, elles sont entrées en Syrie par la frontière nord du Liban. Puis elles sont descendues vers le sud, sur l’axe Homs-Damas. Le monastère est là, à mi-chemin, dans les Monts du Qalamoun, avant la steppe qui conduit à Palmyre. Elles connaissaient leur chauffeur, c’est indispensable. Elles ont vécu les barrages, les contrôles (plutôt rassurants), les détours pour éviter les zones dangereuses. Le long de la route, des traces de la guerre. Mais la circulation est plutôt dense et les villages traversés pleins de vie.
Un monastère dans le désert
Le monastère de Mar Yakub (Saint Jacques le mutilé) se situe près de Qâra, entre les zones contrôlées par les terroristes et l’armée syrienne. Des digues de terre ont été levées autour. Les groupes armés djihadistes tiennent la montagne à moins de 6 km et viennent parfois jusqu’aux portes du monastère. Le canon tonne la nuit contre leurs incursions. Du VIème siècle, sa fondation, restent l’église avec ses fresques et quelques murs. Il a été refondé en 1993.
Il apparaît actuellement comme une forteresse, avec sa porte principale murée, ses sacs de sable et ses impacts de missiles et d’obus. L’aile des hommes est occupée par des soldats de l’armée syrienne.
Alors moines et moniales vivent ensemble : une Française, une Chilienne, une Vénézuélienne, une Libanaise, un prêtre et un frère belges, un Américain, une femme réfugiée avec deux enfants… Et Rafqa-Rebecca, une ado de 12 ans confiée par sa mère, qui va au collège à Qâra. Fin 2013, Daech avait envahi Qâra. Pendant les combats, le monastère était pris entre deux feux. Ils étaient cachés ensemble dans la crypte, ne remontant que pour chercher des vivres.
Les trois voyageuses ont eu la chance de rencontrer Mère Agnes-Mariam de la Croix qui a refondé la monastère en 1993. Elle veille sur lui depuis le Liban, car sa présence met en danger la communauté depuis qu’elle est menacée de mort par divers rebelles. En effet, ayant pris conscience que les média étrangers sont manipulés par toutes sortes des groupes aux intérêts divers, elle sillonne les pays occidentaux pour témoigner.
Une vie joyeuse et libre
Tous ici sont habités par une espérance étonnante pour nous, Occidentaux en paix. Pas de plainte. Ils sont fiers d’être Syriens et de défendre leur pays contre Daech. Leur foi est libre, pleine de rires, rien n’y est obligatoire, tout semble facile. Les nombreuses coupures d’électricité ne les désespèrent pas. La vie de prière est sans obligation pour les hôtes. Le matin, une méditation libre est proposée dans le jardin – surtout pas hors des murs. | Pendant la journée, les adultes s’occupent du potager, des volailles qui enrichissent les repas dominicaux. Ils ramassent le thym et autres herbes aromatiques de leur jardin et les ensachent. Ils récoltent olives, amandes, roses pour le sirop, abricots pour les confitures. Ils fabriquent des cahiers avec du papier recyclé, des bougies. Le matériel vient du Liban. La frontière n’est pas loin et facile à passer, les militaires ne recherchant que les bombes. |
Au moment de l’invasion de Qâra par Daech, les moines et moniales avaient mis à l’abri les bêtes abandonnées par les habitants : 100 vaches, 200 moutons… Ils les ont nourris malgré la neige et les djihadistes dans Qâra. A leur retour, les habitants enfuis, parfois proches des islamistes, ont tous pu les récupérer. Le monastère y a conforté sa réputation de lieu sûr, ne faisant aucune discrimination ethnique, religieuse ou politique. Il rend de grands services à la population civile de la région, dont une partie est plutôt favorable aux groupes armés. Il passe par le Croissant Rouge pour distribuer l’aide aux personnes déplacées, arrivées des zones conquises par Daesh.
Une tradition d’ouverture
Ce qui frappe, en Syrie, c’est la façon de vivre la laïcité. Avec l’islamisme, cela risque de changer. Mais le fondement est là : ce pays très ancien est à la fois très laïque et très religieux. L’État est au-dessus de tout : il protège et garantit l’existence des nombreux groupes ethniques et religieux, chrétiens et musulmans, extrêmement variés, que la Syrie a su préserver « comme une mosaïque » au cours de sa très longue histoire. Et non unifier. Chacun montre ce qu’il est. Il n’est pas question de cacher sa croix, d’hésiter à mettre le foulard, de taire son athéisme. Les femmes étaient libres, jusqu’à présent. Même si les mariages « mixtes » étaient rares, chacun se sentait solidaire des autres. Cette terre ancienne, traversée de tant de civilisations, où tout le monde pouvait exister, côte à côte, beaucoup espèrent, dans l’angoisse, qu’elle ne disparaîtra pas. Le monastère témoigne encore de cette entraide sans frontière.
Rédaction Dominique de France et Doris Ziegler
Dominique de France est en lien régulier via internet avec le Père Daniel Maes, belge, professeur de théologie.
Elle est prête à rencontrer tout groupe intéressé par son témoignage : @CONTACT_238@
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En préparant la Semaine sainte, le père Daniel Maes envoie une lettre ouverte à son Excellence Monsieur Didier Reynders, Ministre Belge des Affaires Etrangères
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